dimanche 24 mars 2024

Les Rameaux

Extraits d’une prédication de B. Antérion, choisis par Madeleine Natanson.

2Lorsque le roi entre dans sa ville, c’est en général après une grande victoire. Lorsqu’une capitale est prise, c’est bien le signe de victoire d’un côté et de reddition de l’autre. D’un côté la force qui gagne et les chars qui remplacent avantageusement aujourd’hui le cheval monture noble et guerrière, et de l’autre côté des ânes chargés et tirant de piètres carrioles, courant dans tous les sens, comme pour mettre à l’abri leurs charges et leurs maîtres.

3Lorsque le roi entre dans sa capitale, celle-ci est en émoi, en pleine agitation où se mêlent espérances et interrogations. On agite le drapeau blanc ou celui du vainqueur en signe de bienvenue et de soumission et l’on crie : Sauve-nous ! « Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : qui est-ce, disait-on ? »

4Tout ce que Jésus avait fait et dit en Galilée se trouve ce jour-là rassemblé dans la joie, la reconnaissance et l’espérance éphémère d’un salut non plus seulement personnel mais aussi communautaire ou national. Ainsi va l’humanité et les groupes humains, de la forte espérance à la déception. La foule est versatile, elle peut brûler ce qu’elle a adoré ; elle peut adorer ce qu’elle a méprisé. Toute l’histoire des peuples est faite de ces renversements qui invitent à la prudence et à la retenue manifestée par Jésus, étrangement silencieux le jour des Rameaux.

5Ce jour de victoire ambiguë, ce jour d’exaltation, est le commencement d’une semaine de tous les dangers, et même du danger mortel avec les mêmes acteurs.

6La foule sera déçue par Jésus : au cri de sauve-nous de l’envahisseur et de l’occupant, il restera complètement insensible jusqu’à entendre bientôt : crucifie-le ! Aux marques de reconnaissance et d’intronisation royale, il préférera le dénuement et partager son sort avec des condamnés ordinaires.

7La fête des Rameaux, c’est assez curieusement une histoire d’âne, d’ânesse, d’ânon qui vont croiser le chemin de Jésus. Ce n’est pas la première fois que nous lisons une insistance aussi forte sur cette monture commune, ordinaire, qui passe pour avoir du caractère, tant il est vrai, dit-on, que l’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif !

8C’est la monture de Balaam le prophète étranger et étrange, guidé par son ânesse qui, elle, sait où il ne faut pas aller pour maudire Israël, mais qui sait porter et supporter le prophète pour bénir. C’est un animal qui croit, qui sait et qui parle. C’est cette ânesse qui voit que le Seigneur est venu croiser la route et stopper un cheminement, un voyage, dit le texte, entrepris à la légère. Peut-on réellement penser que l’évangéliste Matthieu ne connaissait pas Balaam et son ânesse. Ici, le jour des Rameaux, l’ânesse ne stoppe pas la route comme au temps de Balaam, comme pour dire : oui, il faut y aller; ce sera dur, n’écoute pas seulement cette foule, ne dévie pas de ton chemin, tu vois, je te porte jusqu’au bout. Ce qui rassure Jésus, c’est son ânesse et son ânon plutôt que la foule.

9L’âne ou l’ânon, c’est aussi le prophète Zacharie et l’entrée modeste du roi messie dont la marque originale sera de briser l’arc de guerre et de supprimer le char de combat : Il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre et du fleuve jusqu’aux extrémités du pays. L’ânon tout jeune, souvenir de Zacharie pourrait dire à son tour : le peuple demande qu’on prenne les armes, ne les écoute pas, avançons ensemble munis de ce message de paix même s’il n’est pas encore audible ou crédible.

10Jésus avait dit à ses disciples : allez au village et vous trouverez une ânesse et un ânon et si on vous demande quelque chose, dites : le Seigneur en a besoin ! Comme en eurent besoin Balaam et le messie pacifique de Zacharie. La monture n’est pas brillante, mais elle est solide. Elle est liée à la marche et à la démarche du Seigneur sur le chemin des hommes ; elle est solide, commune, familière et proche de la volonté de Dieu même dans ce qu’elle a de plus surprenant pour les hommes : outil de bénédiction plutôt que de malédiction, outil de lucidité plutôt que de vanité, instrument de service et de paix plutôt que de gloire et de conquête.

 « Détachez-la, emmenez-les-moi, le Seigneur en a besoin ». Jésus a besoin d’ânes, plutôt que d’une foule en liesse !

 

·         L'âne, humble animal biblique et riche symbole

·         Bernard Antérion

·         Dans Imaginaire & Inconscient 2003/3 (no 11), pages 117 à 118